Internationale Situationniste, Numéro 6
août
1961

Sur la répression sociale dans la culture

Individuellement, les artistes de l’époque moderne qui ne sont pas de simples reproducteurs des mystifications admises, sont tous plus ou moins nettement rejetés en marge de la vie sociale. Ceci parce qu’ils se trouvent obligés de poser, même à travers des moyens illusoires ou fragmentaires, la question de la signification de cette vie, la question de son emploi ; alors qu’elle reste sans signification, se trouve dépourvue de tout emploi licite autre qu’une consommation passive. Par nature donc, ils signalent les mauvaises conditions d’un monde inhabitable. Et leur exclusion personnelle de ce monde — par la séparation confor table ou bien par l’élimination tragique — se produit, pour ainsi dire, naturellement.

Au contraire, les groupes d’avant-garde, qui formulent nettement un programme de changement de toutes ces conditions, ou de certaines d’entre elles, se heurtent à une répression sociale consciente et organisée. Les formes de cette répression ont beaucoup changé depuis, par exemple, quarante ans, avec l’évolution de la société elle-même et de ses ennemis.

Autour de 1920 en Europe, ce qui apportait le scandale contre les valeurs admises de la culture et de la vie sociale était montré du doigt. L’avant-garde était alors maudite, et connue comme telle. Dans la so ciété qui s’est développée depuis la dernière guerre mondiale, il n’y a plus de valeurs, et corollairement l’accusation de ne pas respecter une convention quelconque ne peut plus rencontrer l’adhésion que de sec teurs arriérés du public, restés attachés à des systèmes de conventions cohérents très démodés (comme la conception chrétienne). Autour de ceux qui sont porteurs d’un projet de nouvelles valorisations, les contrôleurs de la culture et de l’information ne soulèvent plus le scandale : ils tendent à organiser solidement le silence.

Ces nouvelles conditions de lutte retardent d’abord le travail d’une nouvelle avant-garde révolutionnaire ; entravent sa formation et ensuite ralentissent son développement. Mais elles ont aussi une signification très positive : la culture moderne est vide ; aucune force solide ne pour ra s’y opposer aux décisions de cette avant-garde, à partir du moment où elle aura réussi à se faire reconnaître comime telle. La tâche de cette avant-garde doit être seulement d’imposer un jour sa reconnaissance avant d’avoir laissé entamer sa discipline et son programme. C’est ce que l’Internationale situationniste pense faire.

Cette déclaration a été publiée, en février 1961, dans le numéro 4 de Spur, organe de la section allemande de l’I.S.

Ceux dont on parle volontiers sont les révoltés plus heureusement spectaculaires, « les révoltés que l’on aimera haïr ». Mais ils font peu d’usage. On a la malhonnêteté de paraître déçu, après trois ou quatre ans, par l’évidence de leur conformisme, sans lequel justement on n’aurait jamais accepté de les constituer publiquement en novateurs. Ainsi la culture dominante joue avec sa contradiction centrale : le besoin et la terreur d’une nouveauté, qui est sa mort.

Comme elle a été brève, la folie des jeunes Anglais en colère... Le mouvement des « angry young men » faisait trembler les vitres bourgeoises de crainte, et les cœurs d’espérance. Il allait arriver quelque chose. M. Osborne est arrivé — et déjà il s’installe. C’est vers 1956-1957 que l’on commença à parler de ces jeunes écrivains qui refusaient bruyamment tous les conformismes, protestaient contre les conditions de vie inhumaines qui sont faites à l’homme moderne... Le groupement, toutefois, était disparate, la dénomination commune « angry young men » cor respondait davantage à une facilité journalistique qu’à un programme commun ... C’était sans doute insuffisant : dès aujourd’hui, le groupe ne semble plus avoir de signification, ni même d’existence. Les talents individuels s’en dégagent... Colin Wilson, autodidacte simplet, verse dans un mysticisme fumeux, etc. Mais ils sont parfaitement récupérés par la société littéraire de leur pays.

R. Kanters, L’Express, 13 juillet 1961.

L’odeur d’œufs pourris que répand l’idée de Dieu, enveloppe les crétins mystiques de la « beat generation » américaine, et n’est même pas ab sente des déclarations des « angry young men » (cf. Colin Wilson). Ceuxci, en général, découvrent avec trente ans de retard un climat moral subversif que l’Angleterre leur avait complètement caché entre temps, et pensent être à la pointe du scandale en se proclamant républicains... Les « angry young men » sont même particulièrement réactionnaires en ceci, qu’ils attribuent une valeur privilégiée, un sens de rachat, à l’exercice de la littérature ; c’est-à-dire qu’ils se font, aujourd’hui, les défenseurs d’une mystification qui a été dénoncée vers 1920 en Europe, et dont la survie est d’une plus grande portée contre-révolutionnaire que celle de la Couronne britannique.

Notes éditoriales d’Internationale Situationniste 1, juin 1958.
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